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Poemes

1.

Le Dormeur du Val
C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Octobre 1870

2.

3.

4.

5.

L’Enfant
Victor Hugo
Les turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil.
Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ?
Chio, l’île des vins, n’est plus qu’un sombre
Est-ce d’avoir ce lys, bleu comme tes yeux
écueil,
bleus,
Chio, qu’ombrageaient les charmilles,
Qui d’Iran borde le puits sombre ?
Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois, Ou le fruit du tuba, de cet arbre si grand,
Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois Qu’un cheval au galop met, toujours en courant,
Un chœur dansant de jeunes filles.
Cent ans à sortir de son ombre ?
Tout est désert. Mais non ; seul près des murs Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des
noircis,
bois,
Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis, Qui chante avec un chant plus doux que le
Courbait sa tête humiliée ;
hautbois,
Il avait pour asile, il avait pour appui
Plus éclatant que les cymbales ?
Une blanche aubépine, une fleur, comme lui
Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l’oiseau
Dans le grand ravage oubliée.
merveilleux ?
– Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux
Ah ! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs
bleus,
anguleux !
Je veux de la poudre et des balles.
Hélas ! pour essuyer les pleurs de tes yeux
bleus
8-10 juillet 1828
Comme le ciel et comme l’onde,
Victor Hugo, Les Orientales
Pour que dans leur azur, de larmes orageux,
Passe le vif éclair de la joie et des jeux,
Pour relever ta tête blonde,
Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner
Pour rattacher gaîment et gaîment ramener
En boucles sur ta blanche épaule
Ces cheveux, qui du fer n’ont pas subi l’affront,
Et qui pleurent épars autour de ton beau front,
Comme les feuilles sur le saule ?

6.

L'Albatros
Charles Baudelaire (Les fleurs du mal)
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à coté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule!
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid!
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait!
Le Poête est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

7.

Pierre de Ronsard (1524-1585)
Rossignol mon mignon, qui dans cette saulaie
Vas seul de branche en branche à ton gré voletant,
Dégoisant à l'envi de moi, qui vais chantant
Celle qu'il faut toujours que dans la bouche j'aie,
Nous soupirons tous deux, ta douce voix s'essaie
De fléchir celle-là, qui te va tourmentant,
Et moi, je suis aussi celle-là regrettant,
Qui m'a fait dans le cœur une si aigre plaie.
Toutefois, Rossignol, nous différons d'un point.
C'est que tu es aimé, et je ne le suis point,
Bien que tous deux ayons les musiques pareilles,
Car tu fléchis t'amie au doux bruit de tes sons,
Mais la mienne, qui prend à dépit mes chansons,
Pour ne les écouter se bouche les oreilles.

8.

Le vase brisé
Sully Prudhomme
Le vase où meurt cette vervaine
Le coup d'éventail fut fêlé ;
Le coup dut l'effleurer à peine,
Aucun bruit ne l'a révélé.
Mais la légère meurtrissure,
Mordant le cristal chaque jour,
D'une marche invisible et sûre
En a fait lentement le tour.
Son eau fraîche a fui goutte à goutte,
Le suc des fleurs s'est épuisé ;
Personne encore ne s'en doute,
N'y touchez pas, il est brisé.
Souvent aussi la main qu'on aime
Effleurant le coeur, le meurtrit ;
Puis le coeur se fend de lui-même,
La fleur de son amour périt ;
Toujours intact aux yeux du monde,
Il sent croître et pleurer tout bas
Sa blessure fine et profonde :
Il est brisé, n'y touchez pas.

9.

Tristesse
Alfred de Musset
J'ai perdu ma force et ma vie,
Et mes amis et ma gaieté;
J'ai perdu jusqu'à la fierté
Qui faisait croire à mon génie.
Quand j'ai connu la vérité, j'ai cru que
c'était une amie;
Quand je l'ai comprise et sentie,
J'en ai été dégoûté.
Et pourtant elle est éternelle,
Et ceux qui se sont passés d'elle
Ici bas ont tout ignoré.
Dieu parle, il faut qu'on lui réponde.
Le seul bien qui me reste au monde
Est d'avoir quelques fois pleuré.

10.

À une femme
Victor Hugo (1802-1885)
Recueil : Les feuilles d'automne (1831).
Enfant ! si j'étais roi, je donnerais l'empire,
Et mon char, et mon sceptre, et mon peuple à
genoux
Et ma couronne d'or, et mes bains de porphyre,
Et mes flottes, à qui la mer ne peut suffire,
Pour un regard de vous !
Si j'étais Dieu, la terre et l'air avec les ondes,
Les anges, les démons courbés devant ma loi,
Et le profond chaos aux entrailles fécondes,
L'éternité, l'espace, et les cieux, et les mondes,
Pour un baiser de toi !

11.

Le pont Mirabeau
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine.
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure.
Guillaume Apollinaire

12.

Il est des jours - avez-vous remarqué ? Où l'on se sent plus léger qu'un oiseau,
Plus jeune qu'un enfant, et, vrai ! plus gai
Que la même gaieté d'un damoiseau.
L'on se souvient sans bien se rappeler...
Évidemment l'on rêve, et non, pourtant.
L'on semble nager et l'on croirait voler.
L'on aime ardemment sans amour cependant
Tant est léger le coeur sous le ciel clair
Et tant l'on va, sûr de soi, plein de foi
Dans les autres, que l'on trompe avec l'air
D'être plutôt trompé gentiment, soi.
La vie est bonne et l'on voudrait mourir,
Bien que n'ayant pas peur du lendemain,
Un désir indécis s'en vient fleurir,
Dirait-on, au coeur plus et moins qu'humain.
Hélas ! faut-il que meure ce bonheur ?
Meurent plutôt la vie et son tourment !
Ô dieux cléments, gardez-moi du malheur
D'à jamais perdre un moment si charmant.

13.

René-François SULLY PRUDHOMME (1839-1907)
Au bord de l'eau
S'asseoir tous deux au bord d'un flot qui passe,
Le voir passer ;
Tous deux, s'il glisse un nuage en l'espace,
Le voir glisser ;
A l'horizon, s'il fume un toit de chaume,
Le voir fumer ;
Aux alentours, si quelque fleur embaume,
S'en embaumer ;
Si quelque fruit, où les abeilles goûtent,
Tente, y goûter ;
Si quelque oiseau, dans les bois qui l'écoutent,
Chante, écouter...
Entendre au pied du saule où l'eau murmure
L'eau murmurer ;
Ne pas sentir, tant que ce rêve dure,
Le temps durer ;
Mais n'apportant de passion profonde
Qu'à s'adorer ;
Sans nul souci des querelles du monde,
Les ignorer ;
Et seuls, heureux devant tout ce qui lasse,
Sans se lasser,
Sentir l'amour, devant tout ce qui passe,
Ne point passer !

14.

Marine/ Paul Verlaine
• L'Océan sonore
Palpite sous l'œil
De la lune en deuil
Et palpite encore,
• Tandis qu'un éclair
Brutal et sinistre
Fend le ciel de bistre
D'un long zigzag clair,
• Et que chaque lame,
En bonds convulsifs,
Le long des récifs
Va, vient, luit et clame,
• Et qu'au firmament,
Où l'ouragan erre,
Rugit le tonnerre
Formidablement.

15.

Paul Verlaine (1844-1896)
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l'heure passé.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l'on entend à peine leurs paroles.
Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé.
- Te souvient-il de notre extase ancienne?
- Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne?
- Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom?
Toujours vois-tu mon âme en rêve? - Non.
Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches ! - C'est possible.
- Qu'il était bleu, le ciel, et grand, l'espoir !
- L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.

16.

Paul Verlaine
Romances sans paroles (1874)
Le ciel est par dessus le toit l
Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme!
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit,
Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.
- Qu'as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?

17.

Femme et chatte
Paul VERLAINE (1844-1896)
Elle jouait avec sa chatte,
Et c'était merveille de voir
La main blanche et la blanche patte
S'ébattre dans l'ombre du soir.
Elle cachait - la scélérate ! Sous ces mitaines de fil noir
Ses meurtriers ongles d'agate,
Coupants et clairs comme un rasoir.
L'autre aussi faisait la sucrée
Et rentrait sa griffe acérée,
Mais le diable n'y perdait rien...
Et dans le boudoir où, sonore,
Tintait son rire aérien,
Brillaient quatre points de phosphore.
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